En visitant un musée, vous êtes-vous déjà demandé ce que cela ferait d’entendre les œuvres? Cette idée loufoque s'est matérialisée jeudi soir, sous les projecteurs de la salle Wilfrid-Pelletier. À l’occasion des célébrations du centenaire du renommé peintre et sculpteur québécois Jean Paul Riopelle, l’univers de ce dernier a pris vie dans une expérience mariant musique symphonique et art visuel.
Les créations musicales inspirées de l'œuvre de Riopelle sont signées Serge Fiori, vedette du groupe Harmonium, et Blair Thomson, artiste connu pour ses arrangements symphoniques. Les morceaux étaient interprétés par l’Orchestre symphonique de Montréal, sous la direction d’Adam Johnson, avec les choristes des Petits Chanteurs de Laval et le chœur Temps Fort.
Crédits photo : Victor Diaz Lamich
Sa vie en actes
Le voyage au cœur de l’univers de Riopelle, né en 1923, se divise en cinq actes qui correspondent à cinq périodes artistiques de sa vie. L'œuvre débute derrière le rideau où il est difficile d’apercevoir les musiciens et musiciennes à travers l’étroite ouverture de la forme d’une toile.
L’acte I dépeint les débuts de l’artiste. La musique est douce. Alors que deux écrans descendent au-dessus de l’orchestre, apparaît d’un côté l’une des premières peintures de Riopelle, un hibou. Sur l’écran de droite, la caméra sillonne chaque trait de cette peinture dans un plan rapproché. La musique plonge dans une forêt féérique où l’on entend les oiseaux, le plus grand amour du peintre. Aquarelle, traits fins, couleurs pâles ; devant la foule s’esquisse la naïveté des premiers essais artistiques.
Le deuxième acte se passe dans les années 1950. Le rythme bascule et devient effréné alors que le peintre se fait connaître à l’international. La signature du Refus global est l’accord principal sur lequel les violonistes s’appuient dans une aura presque baroque. Lumière stroboscopique, toile aux couleurs criardes, violons grinçants et clavecin représentent cette forme d’urgence d’un peintre rebelle, mais sans le sou. À la fin du mouvement, la salle devient bleue et les chants presque religieux soulignent cette opposition au catholicisme qui crée, selon le manifeste, l'immobilisme du peuple québécois. La musique quasiment cinématographique accompagne fort bien les ères artistiques du personnage. Des extraits d’entrevues avec le peintre permettent de mieux comprendre l’homme derrière le pinceau. Un peu malcommode, son discours résonne avec son travail tout en arrachant quelques rires à la foule.
Explorer l’abstrait
Les écrans au-dessus de la scène créent une coupure entre la musique et les toiles, et ce, même avec les vestons à plumes d’oie blanches portés par les musiciens et musiciennes. Regarder à la fois l’orchestre et les images brise l’effet immersif. Cela n'empêche toutefois pas le troisième acte de renouveler l’imagerie du spectacle avec un mouvement consacré aux sculptures. Toutes grises, sombres et anguleuses, les formes abstraites laissent parfois apparaître un visage ou une chouette dans une symphonie ancrée et pesante. La musique cerne bien ce mystère des formes inconnues qui défilent, statiques.
Le ton fluet est de retour au quatrième acte. Les feuilles bruissent et les formes s'arrondissent. Les violons reproduisent le printemps à la manière de Vivaldi. L’orchestre entre dans cet amour de la nature qu’avait l’artiste. C’est l’acte où le mariage fonctionne le moins. Les toiles faisant parfois penser au street art s’éloignent de la nature, même si les dernières faites de blanc et jaune laissent entrevoir de la buée ou un tronc.
Un tour à la volière
Connaître l’artiste est un atout pour apprécier l'œuvre. L’arrivée du dernier acte signe sa passion pour les oies sauvages de l'Isle-aux-Grues pour lesquelles il est tant connu. C’est toute une expérience de rencontrer à nouveau ces oiseaux dans des toiles, ce soir-là animées et bruyantes. Tous les actes se mélangent. On retrouve les hiboux, les traits fins et les éclats de couleur. Les écrans deviennent bigarrés et plus grands que nature.
Malgré les magnifiques touches de piano et de harpe, Riopelle reste indéchiffrable pour ceux et celles qui se trouvent à l’extérieur de son esprit. La symphonie ne réussit pas à cerner complètement le personnage, mais le voyage en vaut le détour et ajoute une dimension insoupçonnée à tous ses coups de pinceau.
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