Ici, avant de devenir « Ici Radio-Canada », c’était le quartier surnommé le faubourg à m’lasse, au centre de Montréal dans lequel se multipliaient les usines bon marché et qui abritait piètrement plus de cinq mille personnes. Au milieu des années 60, le quartier a été démoli, forçant la relocalisation de l’ensemble du faubourg, au profit de la construction de la tour de Radio-Canada et de ses mille stationnements.
Ici, de la dramaturge Gabrielle Lessard, témoigne de notre rapport sociétal à la grande tour brune à travers trois époques charnières de l’histoire de Radio-Canada. La pièce de théâtre se colle à trois personnages fictifs, mais néanmoins représentatifs de l’évolution du quartier. La première narratrice est une jeune ouvrière d’une usine dans le faubourg à m’lasse qui est en plein essor industriel. Elle symbolise l’harmonie et l’amitié qui se ressentaient dans le faubourg malgré la misère, des décennies avant qu’il ne soit détruit. La période de la de la destruction du faubourg est représenté par un jeune garçon émerveillé par la télévision et le travail de journaliste de son père. Il témoigne de la triste époque de la relocalisation du faubourg mais également de l’espoir des Québécois que Radio-Canada les fasse rayonner. La troisième narratrice est une jeune femme qui aspire à devenir une grande comédienne qui marquera la grande tour brune alors que Radio-Canada débute son déménagement dans ses nouveaux locaux. Les protagonistes sont à l’effigie d’un cycle historique différent qui marque le diffuseur public : la pauvreté du quartier qui a été démoli, l’effervescence et le mouvement du « Tout est possible ! » de la Révolution Tranquille, ainsi que le déclin actuel de la Société d’État qui a perdu l’éclat de sa tour des années 70.
La pièce est née d’une indignation : la metteuse en scène était outrée d’apprendre le déménagement prochain du diffuseur public à peine 50 ans après sa construction. Elle a expliqué au journal Métro que « [t]u ne peux pas sacrer 5000 personnes à la porte, puis après dire que ce n’est plus bon. J’étais outrée. Mais plus tu te renseignes, plus tu comprends à quel point c’est complexe et nuancé. C’est rattaché à une histoire d’urbanisme, de télécommunications, mais aussi à notre investissement comme citoyen et consommateur. »
Sans être du théâtre documentaire à la J’aime hydro, Ici a nécessité une imposante documentation. Après six mois de recherche, Gabrielle Lessard a intégré sa documentation à la dimension humaine, afin de présenter une production culturelle qui, d’une part, rend un hommage incommensurable à Radio-Canada et qui, de l’autre, déplore le déclin du diffuseur public depuis son expansion dans les années 60 et 70.
Derrière les protagonistes, un écran diffuse des images du faubourg à m’lasse – notamment les photographies percutantes prises par la ville de Montréal à la veille de la destruction du quartier et d’autres prises une fois le quartier rasé – ainsi que des images de Radio-Canada à des moments charnières qui ont marqué son évolution. Les images d’archives permettent d’appuyer les monologues de protagonistes qui, peu importe l’époque, refuse de se laisser marcher sur les pieds.
Ici offre une réflexion éclairée et lucide sur la Société d’État, qui a mené le mouvement de la nationalisation d’une culture radiophonique et télévisuelle d’ici. Elle permet de découvrir des parcelles de notre histoire municipale et provinciale qui ont été largement négligées, mais qui ont, néanmoins, façonné de manière intrinsèque la société québécoise actuelle.
Ce n’est pas un hasard si la pièce est présentée à l’Espace Libre. L’institution culturelle, au milieu du quartier Centre-Sud, qui tenait auparavant l’affectueux nom de faubourg à m’lasse, a une vocation citoyenne qui allait de pair avec la démarche artistique de Gabrielle Lessard.Ici est présentée à L’Espace Libre jusqu’au 6 avril.
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