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Honeyland : le sucre de la terre



Entre exploitation et conservation : c’est ce tiraillement définissant la relation entre l’homme et la nature qu’explore le documentaire Honeyland, réalisé par Tamara Kotevska et Ljubomir Stefanov à travers le récit intimiste d’une apicultrice macédonienne maîtrisant un savoir-faire ancestral aujourd’hui disparu.


Dans une première scène magistrale se révèle le rapport symbiotique qui unit Hatidze, personnage principal d’une touchante rusticité, et la colonie dont elle récolte avec dévotion et respect les fruits du butinage. La vision est d’une indicible beauté : Hatidze arpente une falaise dans un paysage balkanique escarpé, baigné d’une lumière richement mordorée, atteignant un trésor caché sous la pierre : une ruche dont elle seule connaît l’existence. Elle en récolte les rayons débordant de miel, un calme religieux règne, les abeilles acceptant de laisser une part de leur travail à l’apicultrice.


Hatidze fait partie d’un écosystème qu’elle préserve avec candeur et intuition, sans s’inquiéter de sa fragilité. Vivant en quasi autarcie, dans un village isolé qu’elle habite avec sa mère paralytique, son existence est troublée par l’arrivée d’une famille turque nomade dans le tintamarre d’une procession curieuse de caravanes remplies d’enfants suivies d’un troupeau de bovins. À priori rébarbative, elle est rapidement charmée par l’idée de s’extraire de son quotidien solitaire. Se liant d’amitié avec la famille, elle initie le patriarche Hussein et un de ses fils aux rudiments de l’apiculture. Une règle est d’or : récolter la moitié du miel et laisser l’autre moitié aux abeilles, assurant ainsi la pérennité de la colonie. Malgré les avertissements de plus en plus inquiets d’Hatidze, la bonne volonté d’Hussein se mue, sans surprise, et au grand désarroi de son fils en un désir de production empressé. La scène est douloureuse à regarder : le miel est récolté trop rapidement, les abeilles affamées déciment les ruches d’Hatidze. Un écosystème est en péril, la cupidité de l’homme en est la cause : les insultes furieuses du jeune ami d’Hatidze sidéré de l’impatience de son père retentissent avec la puissance du désormais célèbre « Comment osez-vous!» prononcé par Greta Thunberg.

Fable naturaliste, Honeyland dénonce l’outrecuidance d’une culture d’exploitation des ressources mondiales insatiable, où la soif du gain et l’idéal de croissance économique infinie détournent les sociétés de l’ampleur et de l’imminence des menaces écologiques. C’est un hommage à la nature au sein de laquelle l’existence de l’homme est rythmée selon un cycle organique en tant que membre d’un écosystème. Honeyland est esthétiquement remarquable : des prises de vues paysagères féériques sublimées d’un éclairage luxueusement doré, qui ne vont pas sans rappeler les reflets du doux nectar dont se régale goulûment Hatidze ; des gros plans animaliers où l’abeille est reine ; des scènes d’intérieur dont le clair-obscur dramatisant confère une intensité intime aux échanges entre l’apicultrice et sa mère mourante. Chacun des plans est une célébration picturale exaltante des beautés de la nature.Désarmant de vérité, malgré le doute qui plane sur l’intégrité documentaire du film dont la trame narrative est indéniablement scénarisée, Honeyland raconte à minime échelle une situation on ne peut plus actuelle, une abnégation aveugle à ignorer les alarmes émises par les autorités environnementales, ce qui ne pourra éventuellement que nous mener à notre perte.  Posant un regard sensible et contemplatif sur un quotidien isolé, Honeyland, de par l’humanité qui s’en dégage, fait écho à nos propres interactions avec le monde et s’inscrit avec aplomb et nuance dans la recherche d’un l’équilibre nécessaire.

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