Métro Papineau, le nez sur mon GPS, je suis en chemin pour voir la pièce Buffles. Ma destination : une ancienne usine reconvertie sous le pont Jacques-Cartier. À l’intérieur, des couloirs aux néons caractéristiques me mènent vers la salle et, d’un coup, l’impersonnel se réchauffe. C’est une petite salle, où se trouve une vingtaine de chaises, encore moins de tables. Au fond, une énorme fenêtre donne sur le pont, les ombres des voitures défilent sur les murs comme un film muet. Du plafond pend des ampoules, disparates. Les acteurs entrent sur scène, leurs regards croisent ceux des spectateurs qui sirotent leur bière. Fade out.
Une blanchisserie en déclin située dans un quartier en développement. Max, le petit dernier de la famille disparaît, laissant derrière lui ses cinq frères et sœurs, les narrateurs. Après le drame, papa s’enferme dans son atelier et maman arrête d’aller à l’église pour flamber, au bingo du quartier, l’argent gagné au loto. On croirait la prémisse d’une pièce de Michel Tremblay, sauf que Max a été mangé par les lions et que la famille en question est un troupeau de buffles.
Premier opus d’une trilogie écrite par le dramaturge catalan Pau Miro, Buffles est un conte philosophique vivant dans l’absurde alors que la présence animale se heurte aux institutions humaines traditionnelles, comme l’église ou le supermarché. La sauvagerie naturelle confronte l’urbanité au cœur du récit. Les buffles peinent à faire survivre leur commerce, dépassés par les franchises plus modernes, plus efficaces. La disparition de Max est le choc qui viendra peu à peu dissoudre les liens familiaux, alors que les cinq jeunes buffles sont de plus en plus habités par une colère viscérale et leurs incertitudes sur la vie. Grandir et trouver sa place, ce n’est pas facile.
Cette production du Théâtre à l’eau froide, fondé en 2017, est réalisée en partenariat avec le théâtre de l’Opsis, dont la directrice, Luce Pelletier, signe la mise en scène. Optant pour une mise en scène dépouillée, l’espace de jeu est laissé au soin des cinq jeunes interprètes dont le jeu naturaliste dépeint, avec justesse, les dynamiques internes de la cellule familiale. Dans une distribution de qualité, le travail de Kariane Héroux-Danis dans le rôle de la petite se démarque grâce à sa vulnérabilité quasi-sauvage, ce qui captive le public.
Si, au départ, le rythme un peu cacophonique des répliques prend de court le spectateur, l’énergie déployée par les comédiens et leur maîtrise des subtilités du texte réussissent à nous maintenir en haleine. Avec Buffles, le jeune Théâtre à l’eau froide embrasse les faiblesses de l’homme avec une habile production qui, quoique simple dans la forme, met l’accent sur l’un des fondements du théâtre, trop souvent oublié à l’ère du multimédia : de brillants interprètes.
Buffles, présenté au 1600 avenue de Lorimier, jusqu’au 25 novembre 2017 mise en scène de Luce Pelletier avec : Christophe Baril, Isabeau Blanche, Ann-Catherine Choquette, Daniel D’Amours et Kariane Héroux-Danis.
Pour plus d’informations : http://bit.ly/2lUnwml
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