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Les chroniques d’un gars chaud de la veille

3h20, sortie des bars.

SAINT-DENIS \ MONT-ROYAL

La ligne 361 s’amarre au quai des brumes, direction: l’anonymat. Lui, cet horrible compagnon de vie qui, chaque soir, nous gave de somnifères afin de nous faire oublier la journée de merde que nous venons de passer. Lui qui, chaque matin, nous réveille à coup de gifles sonores d’un cadran enragé qui semble se faire un point d’honneur à nous crier : « Good morning, mon nobody ».

Le bus jette l’ancre :

Un premier pas, puis un deuxième.

« Attention à la marche »,  soupire mademoiselle STM d’une voix tout droit sortie d’une annonce de SSQ auto.


Un troisième pas, puis un quatrième.

Et c’est seulement une fois assis (couché serait un meilleur choix de mot) dans ce Boréal Express des pauvres que je me suis rendu compte à quel point j’étais faite. Parce que non, pas moyen d’échapper à un reflet de fenêtre de bus…

Ça, ça ne pardonne pas…

Le reflet d’un jeune homme et son sourire de gars con-comme-la-lune qui essaye de manger son wrap au poulet chipotle sans en renverser partout sur son coton ouaté blanc. Glorieux, tout ça.


Voyant rouge.

SAINT-DENIS \ DE BELLECHASSE

Merci à toi, très cher reflet, de prouver à la terre entière mon état « Gin-tonesque » particulièrement avancé. Merci à toi, sympathique juxtaposition de moi-même, de me rappeler à quel point je suis faite, comme hier d’ailleurs, et probablement comme demain. Merci à toi, très aimable extrospection, de me rappeler que je viens de scrapper (encore !) un coton ouaté à coup de A&W.


…Être faite.


En cette soirée polaire du mois de mars, pour tous les joyeux naufragés assis à l’arrière de cette arche de Noé des pauvres, nous l’étions tous : faites jusqu’à la moelle.

Pourquoi cette quête perpétuelle et acharnée de la perte de contrôle contrôlée, où chaque épisode est prévu des jours à l’avance?


Tout le monde, ou presque, boit. Bien entendu, on ne parle pas nécessairement de la même quantité, mais il reste que tout le monde, ou presque, boit.


Voyant rouge.

SAINT-DENIS \ JEAN-TALON

Pour un gars disposant de deux ou trois complexes doublé d’une relative insécurité, j’avoue que ça aide. Ça patche les trous, comme y disent.

Étrangement, rien ne semble plus dur que de vivre en société avec soi-même. Pas facile de s’accepter dans nos complexes, dans nos faiblesses et dans nos angoisses. Et le remède qu’on s’auto-prescrit, le Buckley anti-anxiété qu’on gobe tous les samedis soir, c’est l’alcool. On tente tant bien que mal de se convaincre à coup de Dry Week et de Sober February (Surprise! Le mois le plus court de l’année) qu’on n’y est pas accro, mais plus souvent qu’autrement, c’est un gros raté. De toute façon, en l’espace de trois semaines, on s’accorde trois ou quatre soirées de break.


Tant pis.

Tant mieux.

Au moins, l’intention était là.


Si l’on peut se sacrer patience deux minutes et picoler en paix le temps d’une soirée, pourquoi pas? Et que personne vienne me dire qu’il a réussi, lui, à traverser les 28 jours de sécheresse qui le séparait de la terre promise. Qu’il vienne me le dire, son secret. Ce n’est pas à coup de « félicitations » qu’on va l’accueillir, mais à coup de « comment t’as fais? »

Parce qu’on va se le dire, quand t’es saoul, tout est plus facile. Saoul, tout sonne mieux. Tout se dit mieux.


Voyant rouge.

SAINT-DENIS \ CRÉMAZIE

C’est à coup de caballero de Chile qu’on réussit à vomir ce que l’on a toujours voulu dire. Plus le coude lève, plus on s’aime. Et plus on s’aime, plus le coude lève.

Je t’aime. M’aimes-tu? On s’aime.

Et qu’est-ce que ça change si c’est l’alcool qui parle? Tant qu’on s’aime. Tant qu’on est ami. Tant qu’on est saoul. À la vie à la mort. À l’ivresse à la sobriété.

Mais surtout, ce qui est beau quand on est ivre, c’est que ça fait pisser sa peine, pour ensuite la flusher avec le reste de ses soucis : sa job de merde. L’école de merde. Son salaire de merde. Son appartement de merde. Son voisin de merde. Sa vie de merde.

Et, après avoir été saoul, on dégrise.

Inévitablement.

 SAINT-DENIS \ HENRI-BOURASSA

TERMINUS.

On passe du tout-dit au non-dit. Le contrat social post-brosse l’emporte. À la vie à la mort se transforme en un hochement de tête complice, le bref souvenir d’une autre époque où, du haut de notre sobriété écrasante, il nous est impossible de revenir. On ne se connaît pas. On ne se connaît plus. Même pas la peine de se saluer. Anyway, on s’est tout dit hier.


Théoriquement, je serais rendu à la partie du texte où je ferais une morale du genre la boisson, c’est comme Joe Rocca : c’est correct de temps en temps, mais à la longue, ça donne la cirrhose du foie. Mais, non. En cette matinée polaire du mois de mars, non, je n’ai rien à dire. À part que, ce matin, ce n’est pas ma peine que je pisse, mais mes remords de la veille.

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