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Portrait de Johanne Benoit : Démasquer le corps



Si la COVID-19 a permis de comprendre au moins une chose, c’est bien qu’il suffit d’un seul chamboulement dans la collectivité pour ébranler tous les cadres dans lesquels elle évolue, la culture n’étant malheureusement pas épargnée. Alors qu’il est déjà difficile pour les acteurs de premier plan de la sphère culturelle de s’épanouir pleinement dans leur vocation en raison de la précarité du domaine, comment les institutions formant les futurs artisans de la scène perçoivent-elles l’avenir de leurs étudiant.e.s? Et comment continuent-elles à les motiver dans la poursuite de leur carrière? Johanne Benoit, enseignante à l’École de théâtre professionnel du Collège Lionel-Groulx, fait partie des nombreux acteurs de deuxième plan du monde de la culture qui s’interrogent quant aux répercussions de la pandémie sur la formation de la relève artistique. 


Johanne Benoit est une comédienne de formation qui a complété un baccalauréat en enseignement de l’art dramatique ainsi qu’une scolarité de maîtrise à l’UQAM. C’est toutefois sa formation de la technique Alexander qui guide le plus son enseignement : « Le corps m’a toujours intéressée, et ça a été un peu la ligne directrice de mon parcours ». La technique Alexander est une méthode dont les fondements s’appuient sur l’incidence des mécanismes inconscients du corps sur la pensée et, par conséquent, sur la prestation artistique. Ainsi, dans ses cours, Mme Benoit mise sur l’apprentissage de la conscience corporelle : « On apprend à identifier les habituelles façons de faire, et comment on peut se donner plus de liberté ». Attribuer un souvenir aux membres de son corps, comme le souvenir de la main de sa grand-mère posée sur son épaule, est un exemple d’exercice appris à l’UQAM qu’elle réinvestit toujours, avec ses élèves de Lionel-Groulx.


Or, comment enseigner la tridimensionnalité derrière un écran? Mme Benoit se questionne à ce sujet, tout en soulignant l’importante place qu’a le toucher dans son enseignement. L’arrêt des cours en présentiel au printemps dernier a rendu l’enseignement de la technique Alexander presque impossible. Même si ses cours peuvent heureusement se donner en présentiel pendant la session actuelle, elle se questionne sur les répercussions à long terme de la COVID-19 : « Il y a des sens qui vont se perdre. Le regard est tellement focusé sur un point autour d’un écran que toute la perception sensorielle de l’environnement va être de moins en moins sollicitée. (…) Et ça, ça me fait un peu peur. »


Dans les circonstances actuelles, l’enseignante mentionne également l’importance de développer sa conscience sensorielle face à l’anxiété : « Dans le monde d’aujourd’hui, tout doit aller vite, l’anxiété, la performance… Tout ça amène les jeunes à sortir d’eux même et à être dans leur tête. » Au moins, la pandémie aura permis à l’enseignante de développer de nouvelles façons de faire virtuelles avec ses élèves – par exemple, en installant des écrans aux quatre coins de la pièce pour lui permettre d’évaluer ses élèves à distance. Mais cette distance, en plus de séparer les individus, creuse un fossé encore plus grand entre la conscience corporelle et notre pensée, qu’elle qualifie d’indissociables.Un jour à la fois : telle est la vision de Johanne Benoit. Même si, comme ses élèves, l’enseignante de théâtre se trouve dans la plus grande incertitude en ce qui concerne les prochaines sessions, elle continue de transmettre sa passion dans les limites du possible par l’entremise de ses cours de conscience corporelle, de voix scénique et de jeu masqué. Plutôt ironique au temps du couvre-visage, surtout quand elle précise que son objectif est de « démasquer » le corps et de le libérer de toutes les contraintes qui l’empêchent de développer ses sens.

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