Dedans dehors : Les cicatrices qui racontent
- Perlina Rossi-Brown
- 7h
- 3 min de lecture
Jusqu’au 5 novembre, le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui présente Dedans dehors de Camille Paré-Poirier. Dans cette pièce autofictive, l'autrice donne vie à ses souvenirs d’adolescence marqués par la maladie.

Dans ce récit, Camille Paré-Poirier joue son propre rôle. Sa narration accompagne toutes les scènes avec une diction impeccable. Son ton est dénonciateur, urgent même. À travers la poésie, elle reprend le pouvoir sur une histoire qui lui a longtemps échappé.
« Il t’était pas arrivé un truc au secondaire ? »
La pièce débute avec une scène intime entre elle et son ex-copain du secondaire, joué par Benoît Mauffette. Alors qu’ils sont en plein ébats, celui-ci remarque sa cicatrice dans le dos et lui lance une remarque à l’allure banale : « Il t’était pas arrivé un truc au secondaire ? »
Ce « truc », est nul autre que la cicatrice qui symbolise les trois années de réadaptation de Camille à la suite d’une opération subie à 12 ans pour retirer une tumeur logée le long de sa moelle épinière.
De là, la pièce se déploie. La Camille adulte cède la scène à sa version enfant, incarnée par Anne Florence Lavigne Desjardins, tout en demeurant présente, en narratrice vigilante.
Le corps scruté, changeant
La maladie s’installe insidieusement : quelques picotements dans le dos, des douleurs croissantes, un premier médecin qui ne la prend pas au sérieux... Or, lorsque le diagnostic tombe, tout bascule. Entre injections, opérations, auscultations et corsets, Camille perd le contrôle de son propre corps, scruté par ses parents inquiets, tous deux joués par Mathieu Gosselin, et par le regard médical.
La jeune Camille doit faire face à l'essor de sa puberté dans un milieu hospitalier. Ces années passées à être prise en charge et observée façonnent subtilement ses désirs et fantasmes à l’âge adulte. Elle développe notamment une attirance pour son docteur, un homme socialement atypique mais toujours honnête avec elle. Ce dernier, interprété par Alexandre Bergeron, est « un adulte qui la traite en adulte », confie la protagoniste.

Les rôles des deux Camille s’inversent une fois de plus à mi-chemin dans la pièce, lorsque la protagoniste atteint un âge mature. À quelques reprises, l'« enfant intérieure » prend le relai de la narration, surtout lorsque Camille est vulnérable, illustrant un des messages clé de la pièce : même lorsque le corps guérit, la plaie mentale peut rester ouverte.
Un public réceptif
Des rires ponctuent la représentation, surtout lorsque des références communes liées à l’adolescence sont soulevées comme le fameux test du bip, le premier soutien-gorge de La Senza, ou le magasinage au magasin Ardene. Des détails humains qui permettent à plusieurs dans la salle de se reconnaître dans leur propre jeunesse.
Des spectateurs et spectatrices lâchent des « mmh » approbateurs, lorsque certaines répliques, crues et vraies, résonnent particulièrement. Or, pendant les scènes de douleur dans lesquelles l’état des Camilles chute, il n’y a pas un bruit dans la salle; on aurait entendu une épingle tomber. Le jeu des comédiennes, intense et juste mais qui ne surjoue jamais l’émotion, fige le public.
Une immersion audiovisuelle à l’hôpital
La petite taille de la salle Jean-Claude-Germain, d’environ 75 places, crée une atmosphère immersive et intime. Étant proche de la scène, le public a l’impression de plonger dans l’expérience de Camille.
L’association du décor blanc, froid et minimaliste à des projections visuelles ainsi que des sons de synthétiseurs, représente habilement l’ambiance hospitalière, créant tantôt une ambiance anxiogène, tantôt un effet de suspens, comme si le temps était gelé.
L’intention de la pièce est claire : amener l’auditoire à ressentir de l’intérieur le vécu du personnage principal. Elle est en parfaite cohérence avec le récit sensible et imagé de Camille Paré-Poirier, construit sur un riche réseau de métaphores.
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