Crue : portrait sombre d’une société
- Jeanne Tardif

- 10 nov.
- 2 min de lecture
Jean-Paul Eid et Claude Paiement font de nouveau équipe dans Crue, publié chez La Pastèque, au plus grand bonheur des adeptes de littérature de la province. Ce roman graphique de fiction alterne entre gloires et tourments afin de proposer une réflexion profonde sur la société québécoise.

Les auteurs et illustrateurs ont usé de 172 pages teintées de noir et de gris afin de transporter le lectorat dans le récit de Germain Cliche, un réalisateur québécois reconnu par la communauté cinématographique internationale.
Alors que celui-ci est en liste pour une nomination aux Golden Globes et aux Oscars, une rumeur commence à courir : il aurait commis des actes de violence sexuelle.
S’intéresser au public d’ici
Comme bien d’autres œuvres québécoises, cette bande dessinée touche un public local. Les références culturelles sont nombreuses, allant de Tout le monde en parle à la pièce de théâtre Les fées ont soif, en passant par la fête de la Saint-Jean-Baptiste.
Les auteurs n'hésitent pas à s’étaler sur des débats qui sont au cœur de la société contemporaine : culture de l’annulation (cancel culture), culture du viol, omniprésence du tribunal populaire et inégalités sociales.
Des dialogues tranchants permettent d’explorer ces sujets en profondeur, souvent grâce à des personnages secondaires ou même accessoires. « Qu’est-ce qui resterait de l’histoire de l’art si on avait expurgé tous les artistes délinquants? Une culture à saveur d’eau de Javel! ». La réponse toute aussi franche, « Toujours ben mieux qu’une culture à saveur de misogynie! », accorde une place aux deux points de vue. Le roman graphique est avant tout basé sur la réflexion et non sur la prise de position.
L’intelligence au service de l’écriture
L’accusation envers le cinéaste arrive assez tôt dans la trame narrative de la bande dessinée. Le scénario tombe donc rapidement dans la recherche. Quelle est la vérité ? L’identité de l'accusatrice sera-t-elle révélée ? Quels sont les meilleurs moyens pour le protagoniste de conserver sa réputation ?
Les personnages principaux sont souvent pensifs, voire soucieux. Les couleurs sont absentes et l’histoire semble prévisible, ce qui cause un début d’histoire plutôt terne. Toutefois, plus le récit évolue, plus l’intelligence des artistes est perceptible et plus le lectorat est lié à l'œuvre. Le souci du détail des écrivains est impressionnant, de même que leur usage de métaphores visuelles.
Le scénario est écrit avec beaucoup d’agilité. Les détails qui semblent trop éloignés de l’intrigue principale dans les premières planches prennent tout leur sens grâce à de discrètes répétitions. Les artistes ont confiance en la perspicacité du lectorat. Ils rendent l’implicite évident au lieu de constamment faire parler leurs personnages.
Les illustrations de Jean-Paul Eid, extrêmement riches en informations, effacent le besoin de narration. Des plans simples et efficaces s’enchaînent à d’autres plus frappants afin de créer des contrastes remplis d’émotions. Les transitions entre certaines cases sont si soignées et fluides que la comparaison avec l’art du cinéma s’impose.
Disponible en librairie depuis le 5 novembre, Crue s’adresse à ceux qui ne redoutent pas les thèmes sombres et troublants.











Pour être déja tomber sous le charme de ses anciennes œuvres, j’ai vraiment hâte de voir ce que Eid a concocté cette fois-ci. Superbe article pour me donner le goût de le lire sans trop en divulguer! Bravo!