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Confession d’une lutine : j’aimais Noël


Sapin Bavard 2

Ça s’est terminé il y a cinq ans. Jusqu’alors, je faisais un statut Facebook dès qu’un flocon entrait dans mon champ de vision. Je chantais « C’est Noël parce qu’il neige dans ma tête » du 1er novembre au 31 mars. Le sapin de Noël de mon chalet faisait 10 pieds, avec beaucoup trop de lumières et de boules et trônait pendant 1 mois : du 24 décembre au 24 janvier. C’est moi qui mettais en scène l’arrivée du Père Noël au chalet – comprendre l’arrivée de mon oncle déguisé. Je trouvais mille mensonges qui rendaient plausible l’existence du dit bonhomme rouge auprès de mes frères, sœurs, cousins, cousines…

« Non, si ton père n’est pas là pendant que le Père Noël y’est là, c’est pas parce qu’il est déguisé voyons. C’est qu’il est allé chercher des cigarettes au village. » La pinte de lait, la panne de voiture chez le voisin, le manque de canneberges, une urgente envie de faire caca… Toutes les excuses étaient bonnes pour faire régner la magie. Même la chorale de la messe de minuit était magique. 25 vieux qui chantaient des cantiques que, oui, je connaissais par cœur. On aurait dit des anges de l’Âge d’Or qui s’accrochaient les pieds sur terre le 24 décembre au soir. Leur voiture céleste se pognait à chaque année dans un banc de neige faut croire.

Sauf qu’il y a cinq ans, le Père Noël m’a engagé. Je suis virée su’l top. Je ne me pouvais plus. Je devenais lutine. Quel rêve que d’être payée pour chanter des chansons de Noël AU COMPLET, manger des biscuits, sourire, donner des cadeaux… Demander aux enfants ce qu’ils veulent pour Noël, me faire répondre : « Une PS4 et une Xbox parce que j’ai déjà une Wii et je suis tanné. », leur dire « Ah, des Lego ça ne te tente pas ? Moi je travaille du côté des poupées. » Des fois, il y en avait qui me croyaient. Des fois, d’autres me disaient que j’étais juste un faux lutin de centre d’achats. En cinq ans de lutinage au centre d’achats Rockland, je les ai toutes entendues :

« T’es pas un vrai lutin, t’as pas les oreilles pointues. »

  1. Un enfant qui a trop regardé The Elf

« Chéri, les lutins savent pas faire des jeux vidéos. »

  1. Une mère anxieuse qui sous-entendait « Heille, progéniture, tu le sais que c’est moi qui les achète au magasin tes jeux vidéos. »

« On peut tu se prendre en photo, moi pis mon chum avec toi et le Père Noël ? »

  1. Un couple où le gars n’était clairement pas à l’aise

« C’est un peu cher ce que tu demandes au lutin. »

Un père qui me lançait un regard disant « Toé le guignol, encourage-le pas à me faire trop dépenser en faisant à croire que c’est le Père Noël qui l’a donné. »

J’ai aussi vu des parents déposer des enfants bavant, braillant, hurlant, sur le Père Noël. Des parents qui prenaient 20 minutes pour faire leur photo, parce que « c’est juste une fois par année, on veut en profiter pour que Justin se souvienne de son quatrième Noël. » On s’entend : le Père Noël là… il ne le connaît pas pour de vrai l’enfant… il n’a pas quelque chose à lui dire pendant 20 minutes… Surtout quand l’enfant est terrorisé. Dites à vos futurs-vous-mêmes d’être des parents responsables dans le temps de Noël. S’il vous plaît. J’aimais Noël avant parce que j’avais pas affaire avec les parents. J’aimais Noël parce que j’étais une enfant et pas encore un lutin. Maintenant, c’est ma job de faire aimer Noël aux enfants. Et pas juste à cause des cadeaux. Lourde responsabilité.

Malgré tout ça, je suis toujours la meilleure lutine en ville. Je connais encore le Petit reine au nez rouge AU COMPLET, Petit papa Noël aussi. Dans le fond, j’ai réalisé cette année que ma job c’était de faire un fuck you aux parents et de raconter des récits magiques aux enfants pour qu’eux donnent un peu de magie à leurs parents. Raconter que c’est la fée des étoiles qui lance de la poussière d’étoiles depuis sa maison et que c’est pour ça qu’il neige. Ensuite, les enfants raconteront ça à leurs parents qui arrêteront peut-être un jour de penser que la neige c’est d’abord et avant tout de l’argent qui passe en déneigement. Ma job, c’est de redonner de la magie et des histoires. C’est à partir d’histoires et de magie que la culture est faite. Pas à partir d’argent.

 

Béatrice LECLERC

Stratégies de production culturelle et médiatique

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