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Photo du rédacteurAlice Young

Tautuktavuk : un regard introspectif et poétique

Tourné à Montréal et au Nunavut, Sous nos yeux (Tautuktavuk) invite le public dans l’intimité de deux sœurs séparées par la pandémie. La première québécoise du long-métrage en Inuktitut a eu lieu à l’université Concordia le 11 décembre en présence de la co-réalisatrice, Lucy Tulujarguk.


Plusieurs morses bruns qui se pavanent sur la glace qui fond au Nunavut

Au fil d’appels Zoom, Uyarak et Saqpinak s’ouvrent sur leurs traumatismes d’enfance et sur le cheminement de leur guérison. Dès que les règles d’isolement sont retirées, Uyarak retourne à Igloolik, au Nunavut, pour retrouver le confort des siens et de sa culture. Son passage n’est pas tout rose, puisqu’elle redécouvre les enjeux de violence intergénérationnelle qui persistent dans la communauté. 


Les plans du quotidien dans l’immensité blanche du Grand Nord laissent le public émerveillé et contrastent avec ceux de la neige grise métropolitaine, bien que les images de Montréal soient elles aussi attrayantes. 


« Pour que mes enfants vivent mieux »


Uyarak, la nukaq (sœur cadette), se confie à Saqpinak sur les souvenirs douloureux de violences physique et sexuelle qui refont surface par la thérapie. Elle devient grand-mère pour la première fois et souhaite comprendre ce qui lui est arrivé pour mettre fin à ses habitudes autodestructrices. « Même si c’est difficile, je dois passer à travers tout ça pour que mes enfants vivent mieux », dit-elle.


Ensemble, les deux sœurs tentent de comprendre le silence de leurs parents face aux violences. Au courant de l’histoire, elles se soutiennent affectueusement, une preuve en soi de changement dans la communauté blessée où l’on « n’expose pas ses affaires personnelles en public » et où les manifestations d’amour (physiques et verbales) sont discrètes. Les deux réalisatrices brossent un portrait de l’intime qui évoque une réalité familière pour les générations de femmes inuites marquées par le colonialisme. 


Dans une séquence touchante où la ligne entre la fiction et la réalité se brouille, Uyarak, jouée par la réalisatrice Lucy Tulugarjuk, se fait tatouer sur les avant-bras de l’art traditionnel inuit pour célébrer sa sobriété et la naissance de son premier petit-enfant.



Les naissances et la culture


Le film illustre ce qui apaise la souffrance des deux sœurs de façon poétique et implicite. Dans un salon modeste au Nunavut, la caméra épie une dizaine d’enfants qui jouent et prennent soin des plus jeunes. Ces images d’une joyeuse simplicité ont l’effet d’une bouffée d’air et symbolisent l’espoir que portent les nouvelles naissances. 


Dans le même décor, un groupe d'aîné·es chantent des chansons Ajaaja, accompagné par un danseur au tambour. La pratique des traditions inuites redonne le pouvoir à la communauté, puisqu’elle leur permet de regagner la liberté de leur enfance, perdue dans les pensionnats. La musique traditionnelle est aussi mise en valeur avec des chants de gorges intimidants qui ajoutent du rythme au récit. 


Le paradoxe de la religion


Sous nos yeux (Tautuktavuk) met en lumière la place contradictoire qu’occupe la religion catholique dans la communauté inuite. Le symbole du crucifix se retrouve dans les souvenirs sombres et traumatiques d’Uyarak, mais aussi sur les murs des maisons d’Igloolik.

 

L’héritage des pensionnats s'inscrit dans le côté sinistre de l’histoire, mais l’enseignement religieux conserve une place dans la culture inuit. Son empreinte paradoxale ressort aussi dans les paroles mi-sérieuses d’Uyurak lorsqu’elle se fait tatouer: « ma mère avait peur des autorités religieuses, mais je ne pense pas que je vais aller en enfer pour ça ». 


Cette réalité complexe est dépeinte de façon authentique et touchante par les deux réalisatrices inuites. 


Crédit Photos : Carol Kunnuk, Lucy Tulugarjuk


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