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Photo du rédacteurLaurence Proulx

Pour qu’il y ait un début à votre langue: la poésie du chaos

Crédit : Stéphane Bourgeois


C’est un vendredi banal, un peu comme les autres. Dehors, avril nous refuse une température agréable alors que le vent nous claque au visage. Je me dirige vers le Théâtre Denise-Pelletier pour assister au spectacle Pour qu’il y ait un début à votre langue écrit et mis en scène par le Steve Gagnon. À la lecture du résumé, je reste surprise par la longueur de la pièce : 2h10. Les spectateurs sont d’ailleurs avertis qu’une fois entré dans la salle, il n’est pas possible de sortir pour espérer regagner son siège par la suite. L’ambiance est mystérieuse, presque cérémoniale. Alors que les spectateurs sont partagés de part et d’autre de l’aire de jeu, il y a, au début de la pièce, un seul petit lit sur scène. Frédéric Lemay, interprétant le personnage principal, entre en scène, nous rappelant de fermer nos téléphones, et le spectacle commence.

Librement inspirée de deux romans de Sylvain Trudel, Le souffle de l’harmattan et Du mercure sous la langue, la pièce Pour qu’il y ait un début à votre langue, raconte deux histoires en parallèle. Nous sommes d’abord en 2008 alors que l’on part à la rencontre de Frédéric, Odile et de leur ami, Wilson Lialo, jeune homme d’origine massaï adopté. Les trois jeunes rêvent de sortir de la banalité de leur existence, rêvant à une terre d’exil qui leur serait propre. Pour Fred et Wilson, ce rêve est viscéral et central à leur bonheur. Leur quête impossible les mènera à explorer le sacré, et lors d’une cérémonie inspirée des origines de Wilson, celui-ci mettra feu à une grange pour y perdre la vie. Le second récit, quant à lui, nous mène en 2018 alors que Frédéric, atteint d’un cancer, attend la mort en silence, refusant d’adresser la parole à sa famille dont il ne reconnaît pas la langue.

Pour qu’il y ait un début à votre langue c’est l’histoire d’une jeunesse désabusée rêvant de grandeur, rêvant de quitter le monde aseptisé de la banlieue pour vivre à plein poumon. Les mots à la fois poétiques et abrasifs de Steve Gagnon tissent des relations déroutantes entre les personnages. Entre l’humour et le drame, l’auteur joue avec le rythme du texte pour créer des moments d’une profonde intensité. Si le texte accuse quelques longueurs à mon avis, il n’est pas moins percutant. Les scènes prenant place à l’hôpital sont particulièrement tragiques, alors que les proches de Frédéric, sa mère, son père et ses grands-parents tentent de communiquer leurs émotions tant bien que mal devant le tragique destin du jeune homme. Devant le silence obstiné de Frédéric, ce sont donc de véritables monologues qui sont livrés par les comédiens de manière extrêmement touchante. En plus de son talent d’auteur, Steve Gagnon peut compter sur une excellente distribution qui rend justice à son histoire. Nathalie Mallette, dans le rôle de la mère, est absolument bouleversante, envoûtant l’entièreté de la salle lors de ses nombreuses apparitions. Je soulignerais aussi la prestation de Pascale Renaud-Hébert, dans le rôle d’Odile, qui maîtrise l’humour comme le tragique, nous permettant à la fois de rire et de pleurer. Bien que ces deux actrices m’aient davantage marquée, tous les acteurs étaient fantastiques.

Au niveau de la mise en scène, le choix de Steve Gagnon s’est arrêté sur un chaos fournis d’accessoires et d’effets. Avec un texte et une distribution aussi forts, j’ai trouvé qu’il y avait un peu trop d’ajouts qui n’étaient pas nécessaires au récit, la base du spectacle étant déjà si bien établie. Malgré tout, le résultat final demeure captivant et il s’agit, il va s’en dire, d’une expérience créative qui dépasse le cadre de la simple représentation théâtrale. Les acteurs sur scène, du début à la fin, entrent et sortent de l’espace de jeu, s’asseyant parfois directement dans le public et s’hydratant devant nos yeux curieux. Ainsi, Steve Gagnon transgresse les règles préétablies, comme Frédéric, Odile et Wilson qui tentent de contrevenir à leur vie.

Un spectacle à voir à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 20 avril.

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