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Eskape : Partir pour mieux revenir

Cet article a été écrit dans le cadre d’un dossier spécial sur le Festival Filministes.



La fébrilité régnait dans un Ausgang Plaza comble le 8 mars dernier, Journée internationale des droits des femmes, date toute désignée pour la soirée d’ouverture du sixième Festival Filministes. Pour l’occasion était projeté le long métrage documentaire Eskape de Neary Adeline Hay. Un film sur le leg de la mémoire, s’articulant autour de la relation singulière entre une mère et sa fille, toutes deux rescapées du régime de Pol Pot et des Khmers rouges au Cambodge.


« Est-ce que la mémoire se transmet ? », demande Neary Adeline Hay à sa maman au début d’Eskape. Catégorique, la mère lui répond que non. On sent ainsi dès les premières minutes du film très peu d’ouverture de la part de Mme Hay à aborder ce qui a précédé l’arrivée de sa famille en sol français.


En 1981, la mère de Neary Adeline Hay fuit un Cambodge ravagé par l’horreur et la violence. La cinéaste n’est alors âgée que de quelques mois. Cet exode les mène dans le sud de la France, où la petite Neary récolte ses premiers souvenirs. Quarante ans après, la réalisatrice, désormais adulte, entreprend de revenir sur leurs pas.


Depuis la jungle cambodgienne, s’arrêtant par des camps de réfugiés, où ne subsiste aujourd’hui que des boîtes de conserves rouillées et les squelettes d’infrastructures abandonnées, Neary Adeline Hay centre finalement sa quête autour du seul vrai vestige de sa venue au monde : sa mère.


Guérison


À la manière d’une fiction, la trame narrative d’Eskape se déploie et permet d’observer le développement de l’arc du personnage de la mère. Un à un, les détails de leur histoire finissent par sortir de sa bouche, défaisant le pansement appliqué sur le récit de leur fuite. En dessous des couches de silence et de tentatives d’oubli, la plaie suppurante de leur évasion est toujours vive.


Avec Eskape, Neary Adeline Hay entame le processus de guérison mutuel de cette blessure. « On s’est portées toutes les deux », résume la réalisatrice franco-cambodgienne, de passage à Montréal pour le lancement du festival en compagnie de son excessivement charmante mère, Thany Lieng Hay. En effet, le film s’ancre dans cette proximité entre les deux femmes qui a assuré leur survie.


Traumatismes intergénérationnels


Les quelques soucis techniques en début de séance n’ont pas perturbé l’audience, qui a bu les paroles des deux femmes, à l’écran comme sur scène, la représentation étant suivie d’une discussion animée par Cathy Wong de Téléfilm Canada.


Le film documentaire de Neary Adeline Hay était précédé du court métrage Blue Garden, signé par Natalie Murao. Une douce, mais brève, création mi-animée sur un pêcheur nippo-canadien détenu durant la Seconde Guerre mondiale. La table était mise : au menu ce soir, traumatismes intergénérationnels.


Amour maternel


Après Angkar (2018), qui portait sur son père, Neary Adeline Hay se tourne vers sa mère avec Eskape. Sa caméra qui, par moments, filme la mère à son insu, rend honneur au personnage coloré et ô combien attachant qu’est Mme Hay. Un comique passage où elle négocie malicieusement à la baisse le prix des huîtres dans un marché permet à sa forte personnalité de percer l’écran.


L’apex du film demeure le segment où Neary Adeline Hay assoit sa mère devant elle et la filme frontalement. Fixant l’objectif, Mme Hay relate alors sa traversée dans la forêt avec Neary, alors dans ses langes : les cadavres, les coups de feu, la peur, mais surtout la joie, à l’arrivée au camp de réfugiés, d’entendre sa fille pleurer, signifiant que la petite est encore en vie. Une scène qui prend aux tripes par sa vérité si crue, dont rejaillit la forme la plus pure d’amour maternel.


Pendant la discussion, Cathy Wong demande à Mme Hay si elle a depuis changé d’idée concernant la transmission de la mémoire. Hochant la tête, la dame mentionne que les œuvres de fiction comme The Killing Fields de Roland Joffé ne sont rien comparées à ce qu’elle a vécu. La réalité telle qu’elle l’a été n’est jamais montrée, si atroce, selon elle, que personne ne verrait un tel film.


Sans images d’archives ou chiffres pour accompagner la tragédie qu’elle raconte, Neary Adeline Hay fait le pari avec Eskape de traiter de son sujet dans l’intimité de son lien avec sa mère. Un défi qu’elle relève haut la main.


Crédits photo : Marc-Antoine Franco Rey


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