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Clandestines : Avenir avorté

Quatre ans avant le renversement de l’arrêt Roe v. Wade protégeant le droit à l’avortement aux États-Unis, Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent travaillaient déjà sur Clandestines, présentement à l’affiche au Centre du Théâtre d’aujourd’hui. Pièce de théâtre dystopique, ou prophétique ? Examen d’un scénario catastrophe.


Par Marc-Antoine Franco Rey


Écoutez attentivement, le protocole est strict. Car mettre fin à sa grossesse est illégal dans le futur imaginé par les complices de la compagnie féministe le Théâtre de l’Affamée. La pièce s’ouvre sur l’énumération des consignes à suivre à la lettre pour se rendre à l’intervention médicale défendue. La comédienne Myriam Leblanc nous situe dans un monde à la fois lointain et rapproché ; l’action se déroule au Canada, en 2025.


Crédits photo : Valérie Remise


Le premier acte plutôt statique dure un peu plus d’une heure. Dans celui-ci, deux femmes attendent jusqu’au petit matin dans une clinique de fortune leur dernière cliente qui, de toute évidence, « ne viendra pas ». L’une des femmes de ce duo, ironiquement enceinte jusqu’au cou, est médecin; l’autre, sage-femme.


Usant précautionneusement de leur nom de code, les collègues conversent calmement, mais restent toujours sur leurs gardes. Cette réalité est désormais la leur : pratiquer des avortements clandestins en pleine nuit. Une routine faite de café filtre et de biscuits soda avec du caramel, mais surtout de peur : celle, constante, d’être découvertes. La venue d’une jeune femme, interprétée par Nahéma Ricci – l’Antigone du film éponyme de Sophie Deraspe –, ne tardera pas à briser ce fragile équilibre ne tenant déjà qu’à un fil.


Effet papillon


Longue de 2 heures 45 avec entracte, Clandestines prend son temps avant de se déployer. S’ancrant d’abord autour d’une perturbation initiale, la pièce explore dans sa seconde moitié toutes les conséquences qui suivront l’élément déclencheur tel un effet papillon.


Depuis le sous-sol du garage où les deux professionnelles se livrent à ce que le personnage de Myriam Leblanc appelle « un geste d’amour », la première partie met la table pour la suite. Se révèlent plus tard aux yeux du public les coulisses de l’avènement de la loi, déguisée en protection de « la santé et la sécurité » des femmes, centrale dans l’œuvre.


Cette dichotomie saisit, comme si deux entités théâtrales au ton et au rythme différents étaient jouées devant nous. Initialement, Clandestines semble s’articuler autour du particulier, se concentrant sur ces deux femmes qui libèrent leurs consœurs de grossesses non désirées. Au retour de l’entracte, un dynamique enchaînement d’histoires s’entrecroise et confronte le public à la pernicieuse infiltration de la mesure illicite dans toute la société.


Discours dissonants


Clandestines reflète efficacement le choc des mentalités en ce qui a trait au droit à l’avortement. Être femme ne signifie pas nécessairement être pro-choix, et porter un enfant n’est pas symptomatique de convictions anti-avortement. La pièce expose autant la nuance que la polarisation de certaines positions, mettant en lumière la façon dont les discours à ce sujet sont bien souvent en dissonance.


Joué par Alexandre Bergeron, l’hypocrite politicien anti-choix qui fait deux poids, deux mesures lorsqu’il trempe lui-même dans ce à quoi il s'oppose si vivement en fait état. Ce portrait satirique n’est pas sans rappeler nos voisins du sud, ou même certains représentants de la droite bien de chez nous. Ces derniers sont toutefois plus subtils et insidieux dans les idéaux qu’ils prônent que ce personnage.


Dans le rôle de Maureen, sexagénaire bénévole pour le politicien, Diane Lavallée est aussi délicieuse que grinçante. À ces interventions, le public rit jaune. Certes grotesques, ses analogies illustrant les croyances pro-vie n’en demeurent pas moins criantes de vérité. Diane Lavallée personnifie avec une troublante exactitude ces dames qui s’opposent à ce qu’on « tue des enfants » en offrant un soutien trompeur à de vulnérables femmes enceintes malgré elles.


« Le corps est la dernière des frontières », avance la médecin campée par Myriam Leblanc. Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent s’interrogent avec Clandestines sur les limites de nos schèmes de pensée. Les autrices rappellent que la ligne nous séparant d’un basculement du droit à l’avortement est aussi aisément franchissable que celle, limitrophe, qui découpe le Canada des États-Unis.


Clandestines est présentée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 11 février.

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