Crédit photo: La Serre
Qu’est-ce qui attend notre relève en art vivant? Quelles sont ses préoccupations artistiques et critiques?
Voilà deux des quelques questions qui ont animé l’évènement Vous êtes ici, présenté du 27 au 29 septembre 2018 au théâtre Aux Écuries. Se matérialisant sous forme de déambulatoire, le spectacle est constitué de dix courtes performances de dix minutes chacune. Chaque performance est le fruit d’une semaine d’incubation et de réalisation par des diplômés en art vivant; on parle ici de théâtre, de performance, de danse et de cirque. Les jeunes artistes, issus de différentes institutions offrant une formation professionnelle, se sont regroupés dans le cadre de La Serre. Il s’agit, selon le programme de la soirée, «[…] [d’un] incubateur structurant pour l’amélioration des conditions d’exercice des artistes émergents en arts vivants». En effet, la question se pose: que réserve l’avenir aux nombreux finissants qui sortent des écoles dans l’espoir de créer et de pouvoir vivre de leur art? Dans l’ère actuelle, où la célébrité instantanée des youtubeurs l’emporte parfois sur la formation professionnelle, où l’on voit, la majorité du temps, les mêmes visages au théâtre et où le nombre de candidats dépasse largement le nombre d’élus, il est nécessaire de réfléchir aux mesures qui sont prises pour permettre à ces jeunes artistes de percer dans le monde professionnel.
Ce que j’ai pu voir samedi soir Aux Écuries, c’est une jeunesse créative et passionnée dont les considérations artistiques divergent. Les performances variées des interprètes, impressionnantes compte tenu de la semaine de travail qu’elles représentent, offrent un éventail de choix artistiques variant entre la poésie des mots et des corps, le détournement ou la réactualisation de classiques et la création de personnages atypiques. En dix minutes, les interprètes doivent captiver le public et le maintenir en haleine. D’ailleurs, la formule physique de l’espace de consommation du produit artistique confronte le public aux modèles préétablis, soit à la désuétude du cadre traditionnel de présentation artistique.
Parmi les dix représentations, deux, pour moi, ressortent du lot grâce à leur contenu et à la manière dont elles sont présentées. Tout d’abord, j’ai été absolument charmée par la pièce sun sets, interprétée par six artistes de l’Université Concordia : Isabella Leone, Samuelles Bourgault, Magali Casaubon, Emma Forgues, Madeline Joyce Smart et Leyla Sutherland. Élaborant sur l’idée du coucher de soleil, dont la tombée prend huit minutes, les six jeunes femmes ont offert au public un réel vent de fraîcheur dans une présentation pop aux couleurs éclatantes, non sans rappeler l’esthétique ludique de Wes Anderson. Grâce à l’insertion d’une narration suave, de musique live, d’images fortes et de projections, sun sets transporte le public dans un espace onirique, à limite du réel.
Ensuite, pour mon deuxième coup de coeur, on change totalement d’atmosphère avec Rep, réalisée par une équipe de l’Université de Montréal, dont voici les membres : Charlotte Gagné-Dumais, Antoine Amnotte-Dupuis, Clara Bich, Laurence Clavet, Kenny Lafrenière, Francis Leduc-Bélanger, Mathieu McConnell-Enright, Raphaël Scali et Thomas Mantisse Tivierge Gauthier. Leur projet a su retenir mon attention grâce à une performance live et à une vidéo offrant un portrait satirique de notre jeunesse et des rappeurs keb. L’équipe, n’hésitant pas à nous prendre à partie, a su tirer plusieurs fous rires des spectateurs. Dans son personnage de rappeur, Raphaël Scali est drôle, voire cynique, alors qu’il met de l’avant un discours que l’on a trop souvent entendu de la part des grands joueurs du rap québécois. Il s’attarde particulièrement au traitement de la femme dans les textes et dans l’imagerie du rap, finissant la performance avec un collage audacieusement ficelé de vidéoclips et d’entrevues.
Ce ne sont donc pas le talent et la créativité qui manquent au sein de notre relève artistique, et il serait temps qu’on lui donne la chance de s’exprimer pleinement, dans les termes qu’elle revendique, pour faire rayonner la culture d’aujourd’hui et de demain.
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