Crédit photo: Théâtre du Rideau Vert/Jean-François Hamelin, archives La Presse
Ayant eu vent que le Théâtre du Rideau Vert s’apprêtait à redonner vie à cette pièce, je me précipite à la billetterie. C’est alors que je constate que sur 26 représentations, les trois quarts au moins affichent « complet » et qu’une dizaine de supplémentaires ont été ajoutées. Est-ce dû au fait qu’en 2018, les fées ont encore soif?
Beaucoup de spectateurs cette soirée-là paraissent fébriles, certains fiers d’avoir assisté à Les fées ont soif jadis et d’y assister encore aujourd’hui. Suivant un mot de bienvenue, leur excitation s’estompe, la pièce commence et nous sommes plongés dans le noir, tel un retour dans le temps. Tout de suite, le public ressent la lourdeur de l’atmosphère, amplifiée par la musique qui semble peser directement sur lui et les éclairages sombres qui rendent l’espace soudainement si étroit.
D’abord, c’est la Statue qui fait son entrée la première, se plaçant les bras ouverts telle l’imposante sculpture de pierre devant laquelle elle se dresse. Celle-ci matérialise la Vierge, donnant à ce symbole une voix. Puis sont introduites au public Marie et Madeleine, incarnant respectivement l’archétype de la mère et de la prostituée, dont la réalité est à la fois reniée et abusée. Accompagnées par la présence indirecte de la Statue, les deux voisines se confient sur la solitude et l’emprisonnement qui les guettent constamment, malgré leur personnalité bien distincte, faisant ainsi ressortir ce dont toutes femmes seules souffrent collectivement.
Je tiens à souligner la mise en scène de Sophie Clément. Celle qui a interprété le rôle de Madeleine à la première sortie de la pièce a su reprendre l’œuvre de sorte à nous démontrer l’intemporalité contrariante et regrettable de l’enjeu traité, soit la place des femmes dans notre société. Plusieurs symboles auxquels la pièce réfère sont contestés, celui de la Vierge entre autres. Celle qui dans l’idéal de la religion représente la pureté, si blanche à en être « le rêve de l’eau de Javel », s’avère à avoir une ombre dont on ne fait jamais mention : une noirceur, par la peur de l’inconnu et le confinement des femmes dans le rôle qu’on leur a attribué.
Cette dualité transparaît dans plusieurs éléments de la pièce tels que l’alternance des éclairages froids et chaleureux : bleus lorsqu’on aborde l’oppression de la femme et orange quand Marie et Madeleine nous font part de leur désir d’émancipation. Pourtant, ces deux teintes sont complémentaires, tout comme Marie et Madeleine le sont, l’union de ces deux « opposés » constituant l’ensemble des sévices dont les femmes sont encore victimes aujourd’hui.
Les fées ont soif a peut-être quarante ans cette année, mais rien de la pièce à laquelle j’ai assisté ne m’a semblé révolu.
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