Photo: Philemon Crête
Dans le cadre du festival Phénoména, le comédien-auteur-metteur en scène Stéphane Crête présente, à la Chapelle Scènes contemporaines, la performance théâtrale Numain, un dialogue muet entre un homme et une poupée en silicone. Issue d’une recherche de longue haleine sur la transgression de la pudeur et des convenances, Numain est une incursion expérimentale dans une intimité solitaire qui trouble et déconcerte, mais ne choque pas par sa vulgarité.
Dans un décor d’un kitch modeste, l’homme déballe sa partenaire de scène qui désarme de réalisme : à échelle humaine, ses yeux sont expressifs et sa peau est souple. Dans un silence solennel, il l’assemble et l’habille avec une précision chirurgicale, mettant l’accent sur l’inexorable matérialité du mannequin.
La performance est rythmée par de courtes scènes présentant les tentatives de rapports de différentes natures avec la poupée, dont la trame musicale romantico-lascive dicte le ton. D’abord séduction, puis tendresse, les interactions ne sont que déception ; l’intimité impossible avec le corps inerte de chair artificielle ne faisant que rappeler à l’homme sa solitude. Le deuil comme ultime recours, l’objet profane est sanctifié, l’homme ne lui trouvant une incarnation qu’en une idole adorée.
Le langage du corps et du geste est exploité avec sensibilité et impudeur, l’homme se meut en une danse sensuelle avec sa partenaire statique qui se transforme en spasmes désarticulés de pulsions refoulées. Inévitablement, la question du rapport malsain entre les genres est suggérée. La poupée inanimée, qui incarne la beauté et la jeunesse (culte de la femme-objet), est soumise à un homme mûr ; on place le spectateur dans une position de voyeur qui suscite encore plus le malaise puisque le désir charnel patent n’est jamais consommé. La performance évite intelligemment les pièges du cliché et de la caricature : on ne met pas en scène la décadence d’un désespoir sexuel, la poupée de silicone comme accessoire du pathétisme de l’existence, mais plutôt une exploration des rapports humains lorsque les pulsions qui les déterminent ne peuvent être assouvies. Avec Numain, Stéphane Crête nous convie à une expérience qui confronte à la mise en scène du dénudement de l’homme dans sa perversion.
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