Crédit photo: Caroline Laberge

Les Hardings, c’est une revisitation du drame encore récent de l’accident ferroviaire de Lac-Mégantic qui s’est produit dans la nuit du 6 juillet 2013. Écrite et mise en scène par Alexia Bürger, trois hommes portant le même nom y sont hypothétiquement liés. Thomas Harding se dédouble : le chauffeur de train (Bruno Marcil), le chercheur et philosophe néo-zélandais (Patrice Dubois) et l’assureur américain (Martin Drainville).
À qui la faute ?
À qui la faute lorsqu’un drame paraît trop grand pour être porté par un seul homme?
Rendre des rails un objet de beauté, c’est ce que la sobriété de la mise en scène a permis, soulignée par les lumières de Mathieu Roy. La place est aux paroles. La plus grande force du texte se dévoile par la capacité de Bürger d’atteindre son public grâce à la brillante idée d’origine et de ses trois protagonistes. Soulignant une énorme complexité, ces trois hommes raisonnent, pensent et ont un langage opposé.
Le philosophe met en mot les plus belles émotions, comme les plus horribles. Vivant parallèlement la perte de sa fille aux mains d’un accident de moto, sa douleur et son deuil résonnent et se lient à la tragédie Mégantic.
L’assureur cartésien, lui, déshumanise. Avec humour et franchise, il révèle la déshumanisation du système par les industries.
Quant au conducteur de train… quoi en dire ? C’est un homme moyen, correct, qui se lève un matin semblable à tous les autres, fait son travail comme à l’habitude, termine une longue journée, et, lorsqu’il s’endort enfin, se fait réveiller par une explosion en l’apparence causée par lui.
Est-ce vraiment de sa faute ? L’incident est-il plutôt imputable à la compagnie qui a surchargé le train de matières hautement inflammables ? Est-ce la faute du patron qui a dit à son employé de se recoucher alors que l’incendie était déjà en cours? Peut-être aurait-il pu prévenir le déraillement conseillant aux pompiers qui avaient fermé les freins, s’il avait été sur les lieux. Les railles mal entretenues, les wagons trop vieux, les coupures de main d’œuvre qui rallongent les heures de travail pour un seul homme…
Présentée pour la première fois en 2018, à peine cinq ans après le drame, les blessures sont encore à vif. À travers sa plume, Alexia Bürger prend la liberté d’étendre ce drame au-delà de Lac-Mégantic et y tisse une réalité intelligente et sensible. Au sens individuel et collectif, la valeur de la vie humaine se calcule à l’aide de statistiques dans un système capitaliste. Le père qui avait acheté à sa fille la moto qui la rendait si heureuse se croit à présent responsable de sa mort. Mais va-t-on dire à un père en deuil que c’est à lui que revient la faute ? La délicate différence entre responsabilité et culpabilité se confond. En bout de ligne, bien que Thomas Harding chauffeur ait conduit le train, il ne peut pas être le seul à porter tout le tort.
Le rendu final de la pièce présentée au Théâtre Jean-Duceppe a remis l’auditoire en contexte, sans en faire trop, ce qui a permis aux subtilités de trouver résonance plus facilement. À travers les catastrophes, des chorégraphies accompagnées de pièces musicales étaient jouées, ce qui donnait le temps au public de reprendre son souffle en repoussant le propos original au-delà des simples paroles. Finalement, ce qui a contribué à la réussite de l’œuvre est le bon dosage entre questionnement, émotions et humour.
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