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Photo du rédacteurÉlie Michaud-A.

Le Principe d’Archimède : naviguer en eaux troubles

Crédit photo: Marie-Andrée Lemire


Dans un vestiaire de cours de natation, une directrice (Geneviève Alarie) et son employé (Lucien A.-Bergeron) se querellent. Une rumeur se propage beaucoup trop vite : une fillette accuse son maître-nageur d’avoir embrassé son camarade de cours sur la bouche. À l’heure où de telles informations ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd et qu’elles sont publiées sans vérification, la situation menace d’être incontrôlable. Cette prémisse, adaptée du texte de l’auteur dramatique et metteur en scène Josep Maria Miró, esquisse une situation redoutablement proche de la réalité. En temps de crise, de simples blagues de vestiaires deviennent des aveux qui peuvent venir embraser les esprits et détruire la réputation d’un homme en apparence innocent, ou pas…


Ce qui apparaît comme le plus important avec l’adaptation du metteur en scène Christian Fortin n’est pas le jeu des comédiens, les costumes, le visuel ou même la mise en scène en tant que telle; ce qui compte, ce sont les enjeux sociaux qui se dégagent du texte, à commencer par la place du masculin. Ce qui heurte, c’est qu’un homme se soit permis de montrer une marque d’affection envers le jeune enfant. Si cela avait été une femme, est-ce que ça aurait fait autant de vagues ? La présomption selon laquelle la femme est dotée d’un amour maternel inné alors que l’homme représente l’autorité amène le public à se poser la question suivante : où se trouve la limite de l’éthique, hommes et femmes confondus ? Jusqu’à quel point une personne ayant à charge des individus peut-elle se permettre de s’en rapprocher intimement, que ce soit par le toucher, les marques d’encouragement ou même les sujets de discussion ? La frontière est nébuleuse et se trace différemment tout dépendant, dira-t-on, des circonstances, de l’individu en particulier, de son genre, etc.


Dans ce jeu des perceptions, la pièce ne se fait pas linéaire. Après quelques scènes survient un bond en arrière. La chronologie des événements ainsi éclatée, le public est forcé de continuellement revoir sa position vis-à-vis son jugement de l’histoire en entendant les différentes perspectives qui se déroulent devant ses yeux. Comme dans un film, les spectateurs deviennent omniscients : ils ont ainsi accès à de l’information supplémentaire reliée à l’accusation, aux jugements portés et aux motifs de ces derniers. Ouï-dire, bribes de conversations inachevées, premières impressions, accusations expéditives et décisions prématurées défilent et explosent, révélant un enjeu où le jugement final est loin d’être manichéen.

Toute la puissance de Le Principe d’Archimède repose sur le fait que Miró ne laisse pas savoir au public si le moniteur est coupable ou pas. Lors de la discussion avec les artistes après la pièce, Christian Fortin confie que bien qu’il ait sa propre opinion sur le verdict, il ne l’a pas partagée à ses comédiens et refuse d’en faire part au public. Cela force les spectateurs – et les interprètes aussi – à s’en tenir à leur propre opinion s’ils veulent trancher. Quels sont leurs référents ? Les préjugés d’une société, les amalgames que nous faisons entre le sexisme, l’homophobie et la discrimination font surface. Que reste-t-il de la présomption d’innocence si tout le monde peut aisément prendre la parole sur les réseaux sociaux et ainsi partager de l’information véridique ou mensongère ?

À plusieurs reprises durant la pièce, le mur opaque derrière les comédiens se transforme en miroir. Les bonds dans le temps sont anticipés par l’éclairage qui diminue. Les personnages jouent ce nouveau morceau de l’histoire dos au public. Faisant face à leur reflet, un lieu de mise à nu est créé. Ne pouvant ainsi se dérober à leur propre conscience, les artistes reflètent celle de l’audience.

C’est ainsi que Christian Fortin met en scène une histoire en deux temps : la première, facile, où la société condamne un bouc émissaire dans une histoire qui implique trop d’enjeux gênants; la seconde, plus laborieuse, où le public ne peut pas se soustraire aux sujets tabous, aux excuses et explications hésitantes ou aux jugements aux motifs imprécis. Il nous prouve que la société n’en est encore qu’à ses premiers balbutiements devant des enjeux qui, au final, sont encore à démystifier.

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