Lorraine Pintal s’est attaquée à l’adaptation et à la mise en scène du premier roman de Réjean Ducharme, le classique L’avalée des avalés. Le livre nous plonge au cœur du récit de Bérénice Einberg, 11 ans, allumée, rebelle et anticonformiste, tiraillée entre un père qui aurait préféré avoir un fils et une mère lunatique et alcoolique. Les seules personnes à qui elle dévoue son affection sont son grand frère Christian et sa jeune amie Constance Chlore.
D’entrée de jeu, la scénographie portative se fait simple, laissant place à la pièce maîtresse du décor : un collage d’objets divers. Se rapportant à des citations, des images et des objets exposés au fil du texte, ces fragments de pensée de la jeune Bérénice résultent en un arrangement baroque. Ce style se retrouve également dans la robe de la mère de la protagoniste, Chat mort ou Chamomor (rebaptisée ainsi par sa fille). Elle porte une longue robe noire satinée aux manches qui descendent jusqu’aux paumes et aux volets de tissu qui tombent du torse aux chevilles. Ce choix esthétique, complété par la chevelure rousse et les lèvres rouges de Louise Marleau, vient rappeler le style des années 1960, période où se situe la trame narrative.
Pour ce qui est de Christian (Benoît Landry), l’esthétique du personnage semble à première vue le vieillir prématurément – bien que l’aîné de Bérénice, il est un enfant au début du récit. Cependant, bien que ce personnage puisse paraître terne mis à côté de sa cadette, Benoît Landry lui prête une étonnante progression dramatique contenant juste assez de fougue. Supportant difficilement les discours nihilistes et les tirades dithyrambiques de sa sœur à son égard, Christian se révolte. Landry a su rendre cette volte-face animée de la part de l’enfant bien-aimé avec justesse.
Vient alors Sarah Laurendeau, dont le grand mandat était celui de rendre justice au tourbillon qu’est Bérénice Einberg, un personnage qui voudrait tant « aimer sans amour et vivre sans cœur qui bat » comme l’héroïne le stipule au cours de la pièce . Paroles lucides, mais regard rêveur, Laurendeau a su présenter l’éventail de nuances de la protagoniste de Réjean Ducharme. La jeune fille Einberg n’est pas que cris et méchanceté: elle cache derrière ses gestes drôlement morbides un éveil sur le monde et les relations humaines, provoquant chez elle des ravages internes à son esprit précoce.
Lorraine Pintal a réussi à adapter de façon intime cette œuvre parue en 1966. Il n’est pas facile d’adapter cette pièce d’anthologie aussi sauvage qu’unique rédigée par Réjean Ducharme, aujourd’hui disparu et entouré de mystère. D’autres détails viennent compléter la mise en scène, comme la neige artificielle dans les cheveux de Bérénice, qui ajoute à son allure féroce et indomptable. La musique marque également les changements de scène à l’aide de quelques douces mélodies. Elle s’infiltre aussi à travers les dures paroles du texte et complète sa poésie.
La nouvelle adaptation de cette œuvre sombre et bouleversante a été présentée en webdiffusion par le Théâtre du Nouveau Monde. Si les conditions sanitaires le permettent, la pièce sera de retour sur les planches du TNM à compter du 18 mai jusqu’au 16 juin 2021.
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