La comédie dramatique Génération danse, cette nouvelle production théâtrale de La Manufacture, présentée à La Licorne, propose une brillante mise en scène signée Sophie Cadieux et plonge le public dans un univers alliant humour et réflexions profondes.
Dans la salle, les éclats de rire se font entendre dès la première minute du spectacle. L’ouverture est marquée par une performance de danse surprenante. La chorégraphie est cependant perturbée alors qu’une danseuse se retrouve au sol et crie de douleur. Elle doit se rendre à l'hôpital. L'événement dramatique prend pourtant une tournure humoristique qui rejoint tout de suite le public. Cette scène rocambolesque met l’eau à la bouche pour ce qui est à venir.
Écrite par la dramaturge américaine Clare Barron, la pièce de théâtre se fait lauréate du prix Susan Smith Blackburn en 2017. L'œuvre porte sur un groupe de six danseuses et d’un danseur, tous et toutes âgé·es d'environ 13 ans. La troupe souhaite à tout prix remporter une fameuse compétition prévue à Tampa Bay, en Floride.
Pour se qualifier, les jeunes doivent interpréter une danse « acro-lyrique » relatant le legs spirituel de Gandhi. Le choix audacieux est imposé par leur professeur Pat, figure autoritaire incarnée par Sasha Samar. Au fil de la pièce, l’ambiance monte en amertume entre les personnages : qui sera sélectionné pour interpréter le solo de la chorégraphie?
Du texte aux planches
La mise en scène créative de Sophie Cadieux fait honneur à l’œuvre de Barron. Le texte est mis de l’avant avec rythme et charisme. Les personnages évoluent dans un décor simple et l'espace scénique est habilement utilisé, ce qui permet d’imaginer avec fluidité les nouveaux lieux et d'échapper à la redondance. Cet effet est possible grâce aux multiples jeux d’éclairage, réalisé par des contrastes de couleur et par différentes intensités lumineuses qui créent diverses atmosphères.
En plus du comédien Sasha Samar, la metteuse en scène s’est dotée d’une distribution riche composée d’Émilie Gilbert, Mireille Métellus, Dominique Pétin, Clara Prieur, Pascale Renaud-Hébert, Tova Roy, Sally Sakho et Thomas Derasp-Verge, qui incarnent tous des adolescents, en plus de Sally Sakho, qui interprète trois mères différentes.
La traduction de Maryse Warda est aussi à souligner, puisqu’elle rend justice à un texte réaliste et authentique. Il est facile de s’identifier aux personnages et d’embarquer dans l’histoire. Le vocabulaire utilisé est cru et connoté, mais surtout rempli de sensibilité. « J’aimerais que mon âme soit aussi parfaite que ma chatte », lance Ashlee (Émilie Gilbert) lors d’une tirade sur la puissance féminine.
Loin du pur divertissement
Même si l’assistance de la salle de La Grande Licorne réagit à tout coup aux touches d’humour omniprésentes, elle ravale abruptement ses éclats, confrontée à des paroles qui lui rappellent sa propre vulnérabilité. Malgré son discours à la limite du farfelu, Génération danse traite de thèmes profonds et complexes, comme la découverte du corps et la fragilité de l’être opposée à sa volonté de vivre de grandes choses.
La distribution éclectique ne démontre pas seulement une envie de diversité de la part de Cadieux, elle sert également le propos de l’œuvre. Les interprètes ayant entre 25 et 70 ans, le décalage entre la maturité de leur corps et celle de l’esprit de leur personnage évoque l’évolution du corps à la puberté et propose une réflexion sur l’enfant intérieur.
Ce qu’on laisse derrière soi
La pièce est d’ailleurs ponctuée de monologues qui contribuent à explorer cette idée. Pendant un instant, les personnages incarnent la version adulte d’eux-mêmes ayant certaines réalisations. Celui du personnage de Maeve, incarné par Mireille Métellus, est très touchant.
L’adolescente confie à Zuzu (Dominique Pétin) avoir déjà plané dans une pièce. Il s’en suit un dialogue interne où Maeve est maintenant une adulte qui ne fait plus de rêves de grandeur et qui a perdu son esprit libre. Elle regarde le public et déclare : « Quelque part en chemin, j’ai oublié ça […] J’ai oublié que j’avais volé. »
Les personnages, bien construits, relatent la complexité humaine. La seule à manquer de profondeur est la protagoniste, Amina (Clara Prieur). Elle possède le talent rêvé par les autres danseurs et danseuses et n’agit que pour son propre intérêt. Alors que la pièce cherche à s'éloigner des films à l’américaine, l’adolescente est plutôt stéréotypée et par conséquent déshumanisée aux yeux du public.
Autant énergisante que poignante, Génération danse est un petit bijou culturel à ne pas manquer cet automne. Elle est actuellement à l’affiche au Théâtre La Licorne et ce jusqu’au 18 novembre.
Crédits photos : Suzane O’Neill
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