Dès qu’il a appris, à la mi-mars, l’annulation de la reprise du célèbre Sacre du printemps de Pina Bausch (1975) en tournée, le fils de la défunte chorégraphe Salomon Bausch a refusé de voir s’éteindre le projet. C’est sous cette persistance qu’est né Dancing at Dusk : Un moment avec Pina Bausch Le Sacre du printemps, diffusé par Danse Danse. Un film d’une beauté crépusculaire capturé par Florian Heinzen-Ziob quelques jours avant le confinement mondial et qualifié de « vrai cadeau » par l’enseignante en histoire de la danse à l’École de danse contemporaine de Montréal Valérie Lessard, en entrevue pré-spectacle.
La vaste collaboration entre la Pina Bausch Foundation, l’école sénégalaise École des Sables et le Sadler’s Wells Theatre devait se produire à Dakar, à Wuppertal puis à Londres. 38 danseurs et danseuses de 14 pays africains, retenus parmi 180 applications, se sont consacrés au noble défi qu’est l’interprétation d’une œuvre de Pina Bausch, chorégraphe allemande de renommée internationale. Tâche pour le moins complexe, compte tenu des univers disparates que renferment les danses africaine et contemporaine. « [Les répétiteurs] nous demandaient des postures bizarres », s’amuse Franne Christie Dossou, danseuse du projet, en entrevue lors d’une répétition.
Le contexte inusité de la production bâtit un tout qui semble presque mythique : une performance de près d’une heure livrée sur une plage de Toubab Dialaw, au Sénégal, entre vents et vagues, dansée en symbiose pour une dernière fois. Comble de la singularité, il manquait dix jours de répétition à l’équipe qui interprétait Le Sacre du printemps dans son entièreté pour la deuxième ou troisième fois seulement. Pourtant, d’un point de vue extérieur, hormis quelques pertes d’équilibre et accrocs de synchronisation, le résultat est poignant.
Le Sacre du printemps, chorégraphié pour la première fois en 1913, peint le récit d’un grand rite sacral païen en deux parties : l’adoration de la Terre suivie de la dernière danse d’une jeune femme livrée au Dieu du printemps. Les artistes de Dancing at Dusk ont su s’imprégner de la douleur et de l’aura funeste de la musique de Stravinski à coups de spasmes et de sauts saccadés. Le caractère chaotique, presque sauvage de la pièce captive indubitablement l’attention, doublé du travail précis de Florian Heinzein-Ziob à la caméra qui exalte les regards perçants des danseurs et danseuses.
Par moments, ce n’est pas le désordre, mais plutôt l’union toute simple de la troupe qui émeut. En grand cercle, en duos impressionnants ou en petits groupes, les interprètes font paraître si vrai chaque contact. Le corps souvent tourné vers le ciel comme pour quémander la vie, les membres du groupe vont et viennent à l’image de l’océan qui fait des siennes en arrière-plan. Le solo final, terriblement chargé, n’est pas annonciateur du dénouement. Ce sont les applaudissements, peu perceptibles au départ, des artistes qui célèbrent ce moment presque utopique. Dès lors, on réalise que, sous nos yeux, viennent de s’opérer non seulement une collision culturelle d’une grande beauté, mais aussi un Sacre du printemps de Pina Bausch comme on n’aurait jamais cru le voir.
Billets sur la plateforme Web de Danse Danse, disponibles jusqu’au 28 octobre.
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