Photo: theatrelalicorne.com
Du 23 septembre au 1er novembre, 30 représentations de la pièce Pour réussir un poulet sont venues ponctuer la programmation de la saison du Théâtre La Licorne. L’œuvre de Fabien Cloutier reflète une tranche de la société dont le portrait dérisoire est rarement mis en valeur. Une pièce coup de poing, à ne pas prendre au premier degré.
C’est en 2010 que Fabien Cloutier met sur pied cette pièce, à l’occasion d’une résidence à La Manufacture, la compagnie théâtrale du Théâtre La Licorne. Le mandat principal de cette compagnie de théâtre est clair : favoriser la découverte de pièces et d’acteurs nouveaux, méconnus du grand public, dans le but de porter un regard différent sur notre société contemporaine. Un constat immédiat s’établit lorsqu’on assiste à la pièce, celui du langage sans fioritures et de dialogues crus, percutants, voire cinglants.
Directeur artistique du Théâtre La Licorne et comédien dans Pour réussir un poulet, Denis Bernard s’est entre autres fait connaître dans le passé pour ses rôles dans les séries télévisées La Galère (2007), Les hauts et les bas de Sophie Paquin (2008) et Yasmaska (2009). Il choisit de confier la mise en scène à Fabien Cloutier à qui il fallut quatre ans pour écrire sa pièce. Denis Bernard accepte ensuite d’interpréter le rôle de Mario Vaillancourt, cruel propriétaire des Galeries du Boulevard. Un homme agressif et sans scrupule, qui fait passer son argent avant toute autre chose. « Je ne venais pas avec la pièce », précise cependant l’acteur qui voulait laisser la liberté à Fabien Cloutier de choisir personnellement les comédiens pour l’interprétation de ses rôles.
Soucieux d’apprendre davantage de l’interprétation de son rôle, Denis Bernard est catégorique sur le fait que cette pièce lui a permis de s’abandonner dans le personnage de Mario Vaillancourt : « Je travaille à être toujours plus simple, plus vrai, plus abandonné et surtout dans la quête de mon personnage », dit-il. Comme le soulignait Fabien Cloutier, les cinq personnages ne sont pas dans la réflexion, ils sont dans le ressenti. Oubliez la dentelle et les fioritures. Dans cette pièce, il faut se préparer mentalement avant de s’asseoir dans son siège et ne pas avoir d’idées préfondées. Amateurs de théâtre classique et de dialogues soutenus n’auraient pas trouvé leur compte. Pour réussir un poulet est une pièce crue qui dénonce le quotidien d’une frange de la société : « C’est un regard sur nous-mêmes qui est gênant, ajoute Denis Bernard. Ça ne fait pas l’ombre d’un doute, c’est bel et bien inscrit dans la société québécoise. C’est une situation sur laquelle on ferme les yeux. Une partie du Québec ferme les yeux sur l’autre partie du Québec qui ne veut pas la voir. » À l’ère de la mondialisation où les écarts de richesse se font de plus en plus accrus, Fabien Cloutier dénonce la légitimité de la quête de cette classe qui trime dur pour payer ses fins de mois. Des gens qui aspirent à être fiers dans la vie, au même titre que la classe aisée. Denis Bernard ajoute qu’ils n’en ont même pas les moyens, car la plupart du temps, ils n’exercent pas une profession valorisante, encadrée par des rapports humains tout aussi dévalorisants.
Bilan d’une pièce difficile à avaler, surtout si on s’imagine sortir du théâtre divertis, insouciants et prêts à passer à autre chose. Le mandat de Pour réussir un poulet est de faire ouvrir les yeux à son public de le pousser à agir plutôt que de constater passivement. Selon Denis Bernard, agir peut entre autres se retranscrire dans le choix d’orientation politique aux prochaines élections. L’œuvre de Fabien Cloutier est un repas à consommer en quantité modérée. Pour réussir un poulet, soyez ouverts d’esprits et prêt à sortir de votre zone de confort.
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