Crédit photo: Eva D’Aoust
« AIE! Toi, t’as sérieusement besoin d’une épiphanie pis ça tombe bien parce que j’en ai une pour toi. Sais-tu pourquoi tu blesses les autres? C’est pour pas être la seule à souffrir. En veux-tu une deuxième, révélation? Non. Bien, je vais te la dire quand même! Sais-tu c’est quoi le problème avec l’amour? Le problème, c’est qu’on en veut plus qu’on en offre. Tout le monde en quête, mais personne en donne. Est-ce que j’ai besoin de te faire un dessin pour que tu comprennes que ça marche pas ou t’es capable de faire le lien toute seule? (Au public) Ça, c’est ce que j’aurais aimé lui dire. À la place, j’ai dit : “On a besoin d’une révolution, pis c’est moi qui vais la commencer! ” »
Enfermés, à l’abri du reste du monde, coexistent trois jeunes gens, à la frontière entre l’adolescence et l’âge adulte.
Anna, Louis, Charlotte.
Louis, Charlotte, Anna.
Charlotte, Anna, Louis.
Trois colocataires névrosés, chacun à sa manière. Louis, obsédé par le mal-être du monde qui dégouline des pages de son journal ; Anna, qui ne rêve que d’être applaudie, déguisée en animal pour fuir le pu qui comble son vide ; Charlotte, qui rêve d’amour, un homme (et une robe) à la fois.
Présentée dans la salle intime du Théâtre Mainline, rue Saint-Laurent, cette adaptation du texte de David Paquet, mise en scène par Arthur Schreibs et Julien Bisaillon-Roy, est personnelle, éclatée et attachante. Récemment graduée du Cégep de Saint-Laurent, la petite troupe d’artisans du théâtre jouit d’un départ flamboyant sur la scène professionnelle.
Le jeu des comédiens (Lea St-Pierre, Jade Solis et Antoine Cusson) est bouleversant, juste et tonitruant à la fois. Aussi désaxés soient-ils, on ne peut faire autrement que de s’attacher à ces personnages. La pièce froisse le réel, le frôle sans jamais s’y renverser : on trouve un peu de chacun de nous dans les préoccupations, les envies et les désirs des personnages, malgré la forme inquiétante et loufoque qu’ils prennent sur scène. Les rires fusent dans la salle ; on s’esclaffe devant les danses animales d’Anna, les traumatismes anxiogènes de Louis et les colères rocambolesques de Charlotte. Parfois, on rit jaune, compatissant à leurs malheurs qui dépassent la limite de l’humour en évoquant le malaise de la réalité notre existence.
C’est là un des défis rencontrés par l’équipe : comment optimiser la mise en scène pour qu’elle respecte l’équilibre entre le réel et la magie éclatée du texte ? Une gageure relevée par le dynamisme des mouvements des comédiens. La scène est un tableau vivant. Le décor, à l’avant-plan très simple, devient chargé au fond de la scène, créant trois tableaux supplémentaires ; une porte, un cadre pour chaque protagoniste, une fenêtre sur leur chambre et leur psyché. Le tout forme un amalgame qu’on apprend à comprendre au fil de la pièce.
Lorsque le spectacle se clôt, on en redemande, soulagé que le bonheur trouve toujours son chemin. Appels entrants illimités : une névrose claustrophobe où l’on se plaît à se perdre, le temps d’un instant.
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